Lofofora - Peuh

“Nous ne serons jamais des stars. Nous n’avons aucun respect pour le rapport qui relie l’idole au fan, le maître à l’esclave, le dictateur au peuple, ma main sur ta gueule.”

– présentation de Lofofora sur le site de Sriracha

Voilà qui est clair, précis, intelligent et sans concessions : un peu à l’image du groupe, en somme. Car Lofofora est un de ces (trop) rares groupes à ignorer les termes “consensus”, “opportunisme” et “compromis”… Et “Peuh !”, second album sorti en 1996, vient magistralement confirmer cette ligne de conduite.

On ouvre le ballet sur un “Jazz Trash Assassin” ravageur, fait de gros riffs, grosse voix et section rythmique irréprochable ; l’agressivité sonore devient très vite verbale, à l’image des premiers mots que Reuno nous envoie littéralement à la face : “Nous voilà assis sur un baril de poudre / Comme des statues de cires, prêtes à se dissoudre / Incapable de scier les barreaux de ta cage / Dis-moi pour qui te prends-tu pauvre singe ?”

Le ton est donné. Et bien que la pression ne se relâche pas avec les morceaux suivants, on adhère de plus en plus au fur et à mesure. “Tu ne bouges pas, le monde tourne autour de toi / Tu ne rêves pas, le monde crève autour de toi / Tu ne sens pas, le monde s’enfonce sous tes pas”. Les formules qui frappent se succèdent, provoquant chez l’auditeur une rage croissante… et les thèmes abordés ne laissent aucun doute sur les opinions du groupe.

Deleuze, un philosophe comme on en fait peu, disait de Nietzsche et Spinoza : “Ce sont des philosophes dont la puissance critique et destructrice est inégalable, mais cette puissance jaillit toujours d’une affirmation, d’une joie, (…) d’une exigence de la vie contre ceux qui la mutilent et la mortifient.” Une phrase qui, après avoir remplacé “philosophes” par “artistes”, s’applique parfaitement à Lofofora. Leur haine n’est en effet jamais gratuite, et s’applique à dénoncer la mesquinerie humaine sous toutes ses formes : racisme, course au profit, “egotrip”, culte des médias, etc.

Le feu d’artifice s’achève sur une reprise des Béruriers Noirs, “Vive Le Feu”, surboostée par une double grosse caisse sans pitié et une guitare speedée au possible.

Douze morceaux sans répit, donc. Mais le spectacle n’est pas fini… ou plutôt, ne fait que commencer, car le treizième titre (chiffre révélateur ?) consiste en une extraordinaire collaboration avec le groupe Ekova : seize minutes d’une montée aux accents orientaux, oûd, percus et voix, celle de Dierdre, chanteuse d’Ekova en l’occurence ; en fond, la basse tient une ligne hypnotique, répétitive. Ce n’est qu’à la douzième minute que tout explose, et…

Mais je m’arrête là. A vous maintenant d’apprécier la juste valeur d’un groupe… pour le moins précieux.

— Lofofora, Peuh, Labels, 1996
Chronique publiée initialement sur acontresens.com

Jérémy Garniaux
Jérémy Garniaux
Cartographe & développeur