Saul Williams - Saul Williams

A l’époque de la sortie d’Amethyst Rock Star, Saul Williams avait fait part à un journaliste de son rêve d’une langue universelle, comprise de tous, qui ferait tomber un peu plus les barrières… Et, poursuivant sa réflexion, constatait que la musique était bien ce langage sans frontières, qu’un musicien avait finalement un impact plus grand encore qu’un « homme de mots » comme lui.

Sans doute l’une des raisons pour lesquelles ce Saul Williams est éponyme. L’auteur se sent-il aujourd’hui plus proche de l’univers, plus universel qu’avec le – néanmoins excellent – précédent, qui portait la marque d’un autre ? Cette fois-ci, Saul Williams se fait non seulement auteur interprète, mais également producteur. Et plus encore, musicien : en plein show, voilà Williams qui saisit une guitare, fort de l’assurance de celui qui trace son chemin sans plus se soucier des perturbations ambiantes… Fascinant d’assister à la construction d’une telle personnalité, dense, complexe et pourtant limpide.

Paradoxalement, ce petit dernier se veut plus léger. Rompant avec l’aîné, le voilà qui propose des chansons, au sens strict du terme, moins métaphysiques, plus accrochées à la réalité. Les codes n’ont pas disparu, mais se mettent au service d’une vision qui évolue en se rapprochant du travail de terrain. Et la bride n’est pas complètement nouée non plus : l’ensemble est parsemé d’étoiles surréalistes, on perçoit une fois encore les briques d’une vision nouvelle, qui s’agencent pour monter des murs en béton surarmé. Fureur sereine de celui qui sait que le génie, c’est l’invention du cliché.

Ouverture sur une collaboration avec Serj Tankian, chanteur de System Of A Down qui prend ici le piano. Les deux hommes sont définitivement du même monde, un monde fait de recherche, de conscience, de combat. Comme du reste Zach de la Rocha, ex-figure de Rage Against The Machine, que l’on retrouve (trop peu) sur un mystérieux « Act III Scene 2 (Shakespeare) »… On pense alors à la création, sous nos yeux, d’un réseau du troisième type. Des extraterrestres en terre bushienne. Mais justement : voilà poindre à l’horizon les armées de la contre-culture. The countless unnamed. The no ones, the nobodies, the last in line. Ceux-là mêmes auxquels la République avait noué un bâillon en Téflon autour de la bouche, trop effrayée par la force de leurs mots. Mais la pression était trop forte, le bâillon a fini par lâcher comme un vulgaire bout de chiffon. As a great man once said, there is nothing more powerful than an idea whose time has come.

Un peu court peut-être, mais tellement percutant, cet album… La formation, le son, le format, tout ou presque diffère du premier opus – la comparaison est irrésistible – tout sauf la voix, les tripes de Saul Williams, présentes du début à la fin. Inutile de répéter à l’infini les mêmes mots. Urgence, force, tripes encore, mélodie, univers, respect. Une litanie qui ne se perçoit qu’à l’écoute.

Cette dernière ne sera d’ailleurs pas forcément aisée : les repères sont nouveaux. On tente d’y trouver du familier, mais c’est peine perdue… et le tour de force s’opère : le cerveau prend le relais et crée des connexions qui nous échappent. Les MOTS montent. Mais pas question de se les faire souffler… A notre esprit d’inscrire ce nouvel élément, tout petit et déjà énorme, dans les arcanes de nos références. Encore une fois, pour que personne ne l’oublie : Le génie, c’est l’invention du cliché. Pas après pas.

— Saul Williams, Saul Williams, Fader Label, 2004
Chronique publiée initialement sur acontresens.com

Jérémy Garniaux
Jérémy Garniaux
Cartographe & développeur