Spicy Box - Mouvements

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modèles de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacle ».
Guy Debord, La société du spectacle

Spicy Box. Courte existence, et pourtant, beaucoup d’esprits marqués au passage. On se demande encore, quelques années après leur disparition – floue, comme le reste : d’où venait la fascination ? Du groove inébranlable et destructeur, de la décharge d’adrénaline répandue dans les veines à chaque écoute, ou du message profondément subversif – du situationnisme actif qu’ils tentaient d’appliquer ?

Équation : groove box + basse + emcees + guitares. En gros. Sur scène, un batteur – qui donne corps à la furie. Un collectif fusion, au sens propre – un volcan. Empruntant autant aux free parties qu’au rock – pas cette pitrerie de rock elvisien qu’on apprend à danser pour briller dans les mariages, mais le rock que portent encore quelques groupes, de Massive Attack à The Mars Volta.

Et des lyrics. Sans lesquels cette chronique ne serait pas là. Portés par deux emcees complémentaires, les textes flambent l’oreille interne. Perte d’équilibre sensorielle, thèse antithèse synthèse en un quart de seconde : Des milliards de possibilités, et des banques de données illimitées / L’échange d’idées est maintenant instantané / Et toujours plus confus, c’est la vérité / Mais moi je veux savoir tout, et tout de suite / Comment résister, tout est à ma portée / Soif d’abondance, j’entre dans la danse / Et me perds dans la connaissance

Il y a du Debord dans Spicy Box, et ils l’avouent sans complexes. Il y a comme l’accumulation d’une expérience collective parsemée d’erreurs et d’errements, recrachée ici en megabytes de sons réactifs, de mots précis et acides : Savoir, désaxé, consensus, représentation, riposte, énergie…

Et si le message est révolutionnaire, les concernés préfèrent faire appel à la voie du milieu, à l’équilibre nécessaire – loin des extrêmes. Le glissement est redouté, avec raison ; alors si les mots d’ordre qui résonnent sont moins cramés, ils sont d’autant plus fondamentalement dangereux : Narcisse est là et confesse / L’ego est roi et le rappelle sans cesse… La saveur est humaine, quelle que soit la machine… Canalisez l’énergie.

Voilà où en était Spicy Box en 1997, à l’heure de son second et avant-dernier album. Aujourd’hui reste la forme, gravée en numérique. Le fond, lui s’est sûrement déformé : pas assez démago, sans doute. Dommage. Parce qu’il fallait bien tout un vingtième siècle pour accoucher d’un Spicy Box.

— Spicy Box, Mouvements, Island, 1997 Chronique publiée initialement sur acontresens.com

Jérémy Garniaux
Jérémy Garniaux
Cartographe & développeur