Octavia E. Butler - la parabole du semeur

Si le titre du sixième roman d’Octavia Butler renvoie aux Evangiles, c’est un récit de science-fiction qu’il introduit. Un récit, un journal plutôt : celui tenu par Lauren Oya Olamina du 20 juillet 2024 au 10 octobre 2027.

Lauren est une adolescente californienne. Noire – comme l’auteure – et fille de pasteur, elle grandit au sein d’une communauté fermée non loin de Los Angeles. Fermée, au sens propre : un mur d’enceinte entoure le quartier, le transformant en véritable forteresse.

Car l’extérieur est devenu véritablement invivable. L’insécurité croissante de la fin du XXe siècle, décuplée par la montée de l’ultra-libéralisme et de sa corrélation individualiste, a jeté le monde dans un état permanent de chaos larvé. Gangs ultra-violents qui se partagent le contrôle des villes, police corrompue et tout aussi dangereuse, hordes de sans-abris dénués du minimum vital, drogue – la pyro – poussant ses adeptes à allumer des feux partout et tout le temps, pillages, meurtres…

La romancière choisit délibérément d’imaginer le pire, et le fait avec talent. Les situations présentent un réalisme glaçant si l’on se penche un instant sur les projections les plus pessimistes de notre proche avenir – les allusions régulières au manège politique, présenté comme très très lointain, entre élections fédérales et battage médiatique décalé pour la course spatiale, ne laissent que peu de doutes sur ce que l’auteure désigne comme cause majeure de ce délitement total.

La communauté de Lauren fait partie des enclaves privilégiées, malgré les moyens modestes de ses habitants – ils ont le mur, ils ont la sécurité. Donc survivent, tant bien que mal. Le pasteur fait de son mieux pour assurer la cohésion du groupe à travers les messes dominicales, et si l’on sort du quartier, c’est en groupe, et fortement armés.

Le chaos crèvera malgré tout la bulle. Lauren se verra forcée à l’exil, vers le nord, vers de meilleurs auspices supposés. A la tête d’un groupe hétéroclite, elle tentera de passer au travers de la folie omniprésente – guidée par ses propres écrits : elle tire sa force de l’espoir de fonder une nouvelle religion, Semence de la Terre, prônant l’adaptation et le changement, entre bouddhisme et évolutionnisme. L’optique religieuse peut irriter, mais elle est suffisamment bien utilisée par Butler pour être pertinente.

Au-delà de l’intrigue, bien menée, c’est cette vision d’un futur ruiné et tristement proche qui saisit le lecteur. Anticipation pessimiste classique, qui rappelle Mad Max et de nombreuses autres fictions, son originalité tient aux deux points de vue adoptés : celui d’une communauté qui, se croyant protégée par un mur, se voile la face et refuse de prendre les initiatives qui s’imposent… jusqu’au point de non-retour ; et celui, radicalement différent, d’une adolescente peut-être un peu mystique, mais prête à s’adapter pour construire, même au milieu de la destruction généralisée.

– Octavia E. Butler, La parabole du semeur, Au Diable Vauvert, 2001 Chronique publiée initialement sur acontresens.com

Jérémy Garniaux
Jérémy Garniaux
Cartographe & développeur