Trois jours allongés
Récit d’un voyage en vélo couché au milieu de l’été 2017.
5 août
Arles, Saintes-Maries-de-la-Mer,
— Je sors du train à 8h du matin — pour éviter les faubourgs marseillais pénibles à arpenter en vélo Arles semblait un point de départ plus engageant,
tout de suite c’est la Camargue : ligne droite, horizon large et cannes de Provence, route départementale nerveuse et affairée, je découvre les dangers potentiels du vélo couché —
Vauvert, Saint-Laurent d’Aigouze, Aigues-Mortes, le Grau du Roi,
— les derniers lambeaux de fraîcheur matinale se dissipent vite et je traverse les deux plus grandes communes de France métropolitaine en forgeant consciencieusement mes premiers coups de soleil,
soulagement du bain de mer lorsque j’atteins enfin la Méditerranée, je reprends mon souffle en découvrant l’horizon futuriste que forme le chapelet de stations balnéaires, malheureusement c’est ma route et je pressens déjà la galère qui s’en vient —
la Grande-Motte, Mauguio (Carnon), Palavas-les-Flots, Villeneuve-lès-Maguelone, Mireval, Vic-la-Gardiole, Frontignan, Balaruc-les-Bains, Balaruc-le-Vieux, Balaruc-les-Bains encore,
— je musarde dans les premières rues qui me rappellent d’autres villes nouvelles, ces espaces-là me fascinent toujours et je note dans un coin de ma tête d’y revenir en hiver,
très vite la lune de miel s’estompe et je bataille avec le pénible : labyrinthe des voies et des contre-voies, rues semi-piétonnes bondées qui apparaissent sans prévenir au détour d’un virage et dans lesquelles je me bloque, smartphone et GPS plus compliqués à manier en roulant que ce que j’imaginais, chape de plomb du bord de mer écrasé par le soleil, route interminable jusqu’au camping trop cher dans lequel je finis par arriver à 21h30 après m’être perdu dans la zone commerciale de Balaruc,
heureusement, la fierté des 97 kilomètres parcourus en terrain hostile —
6 août
Frontignan encore, Sète,
— j’ai les genoux en compote et le démarrage est douloureux, dans un café à Sète j’hésite mais décide de continuer doucement,
sur les plages qui s’étirent entre l’étang de Thau et la mer l’ambiance est beaucoup plus apaisée qu’autour des stations balnéaires de la veille, je prends un délicieux bain de mer à la plage des Trois Digues en me demandant inévitablement si Brassens aimait venir se baigner ici —
Marseillan,
— réalisant soudainement qu’une base de l’école des Glénans est à portée de roues, je m’y rends pour le plaisir du détour et décide de remonter le canal malgré les avertissements des guides qui soulignent que le premier tronçon est un peu rock n’roll —
Agde, Vias,
— et le mot est faible, un tricycle couché n’a rien à faire sur une piste de VTT avec son ornière à peine large comme une roue et les herbes folles des deux côtés qui viennent griffer les bras, mais la piste est amusante et le moral est bon, après tout ce n’est pas une course,
surtout, le plaisir d’être au bord du canal débarrassé des voitures et des hordes, il me vient des images de bayou et de rocking-chair devant d’antiques maisons en bois —
Portiragnes,
— il manque un pont et je dois contourner Port Cassifières, on dirait bien que c’est la base des yachts de location « le boat » que je n’arrête pas de voir voguer sur le canal,
je m’arrête Au rendez-vous des bateliers pour boire une bière et recharger ma batterie de secours, c’est vide hormis une famille suisse enthousiaste et bruyante dont les hommes plaisantent avec le fils du patron pendant que sa mère, silhouette solitaire et digne, scrute les alentours avec anxiété à l’autre bout de la terrasse — Anne ma soeur Anne ne vois-tu rien venir,
par jeu, je m’étais promis de retenir le mot de passe du wifi mais c’est raté —
Villeneuve-Lès-Béziers, Cers, Villeneuve-lès-Béziers encore, Béziers,
— promenades des familles qui profitent de la fraîcheur du crépuscule, bancs animés sur les bords du canal,
peut-être que que lorsqu’une commune passe au front national au lieu de la blacklister on devrait venir y passer plus de temps, comme par complicité avec les habitants ?
je me perds un peu dans les faubourgs de la ville une fois la nuit tombée pour de bon,
dans une rue sans éclairage un molosse déboule d’un portail ouvert et décide de me courser — masse blanche en mouvement dans le rétroviseur, regards au même niveau, grosse montée d’adrénaline mais je pédale plus vite que lui —
Colombiers,
— à 23h et je décide en un instant de dormir dans un petit chemin de traverse attenant au canal au lieu d’aller jusqu’au camping. Lumières qui s’éteignent dans la péniche avoisinante, bruits d’animaux, nuit à la belle étoile —
7 août
— à croire qu’on n’apprend jamais, le canal est composé d’eau et eau = moustiques, j’admets ma défaite à 5h30 et prends le large en silence — pas grave, ce sera une bonne journée de route —
Nissan-lez-Enserune, Coursan, Carbone, Bages, Peyriac-de-Mer, Sigean,
— cascade de pensées solitaires, ligne droite déjà bien fréquentée de bon matin la D6009 se prendrait presque pour une Nationale, il faut que je fasse attention à ne pas trop parler tout seul quand même —
Portel-des-Corbières,
— enfin les Corbières, plus de relief mais moins de voitures et le soleil commence à taper, il y a ici moins d’arbres et beaucoup plus de vignes que ce que j’imaginais, un bain de rivière matinal serait bien,
souhait exaucé quelques virages plus loin à la faveur d’un méandre de la Berre, je me congratule un peu de savoir lire une carte —
Villesèque-des-Corbières, Durban-Corbières,
— pédaler tout en haut des côtes du village pour chercher un café hypothétique qui finalement n’existe pas et redescendre épuisé et en sueur pour se rabattre sur un restaurant sans charme à l’entrée du village,
faire une sieste à l’ombre des platanes des rives de la Berre mais trop de mouches pour dormir, la fatigue est comme un acouphène, omniprésente, plus ou moins gênante selon le moment —
Villeneuve-les-Corbières, Tuchan,
— et la bonne surprise d’un camping ombragé et bon marché, j’arrive en fin d’après-midi et me permet des moules frites le soir entouré de familles en vacances avec l’impression d’arriver au milieu de quelque chose —
Paziols, Padern, Cucugnan, Maury,
— au matin le vent souffle avec force et régularité et me fait face, j’avance très lentement et il faut toute la perspective de la vallée suivante pour venir à bout du col de la D19,
— mais après la plus belle descente des trois derniers jours je tombe sur un camp climat à Maury, où j’avale une belle assiette de dal en parlant géographie avec une bénévole —
Saint-Paul de Fenouillet, Caudiès-de-Fenouillèdes, Puilaurens, Axat,
— je repars plein ouest en suivant la vallée de la Boulzane et la côte se fait légère mais persistante et traître, le vent choisit de tourner pour continuer à me faire face,
la perspective des copains proches est délicieuse et rend chaque minute plus longue que celle qui la précède, je passe Puilaurens en laissant flotter des envies de château et arrive enfin à Axat où je retrouve Maël et son camion dans lequel nous chargerons le vélo —
Saint-Martin-Lys, Belvianes-et-Cavirac, Quillan, Ginoles, Coudons, Belvis, Espezel,
— le reste est avalé dans les cahots du moteur à explosion, Quillan s’affiche à peine et puis ce sont les cols du Portel et de Coudons qui ouvrent les portes du Plateau de Sault, altitude fraîche des cultures entourées de pics et de pechs —
Roquefeuil.
Enfin ce sont les retrouvailles embrassades et grands rires, comme il y a du monde ici déjà, même des enfants tiens, où est-ce que je vais mettre le vélo, et puis la tente, ça pourrait pleuvoir il vaut mieux que j’évite les rigoles et les creux,
la bière est fraîche,
la douche parfaite,
demain
brille
déjà.