Trois jours allongés

5 août

Arles, Saintes-Maries-de-la-Mer,

— Je sors du train à 8h du matin — pour éviter les faubourgs mar­seil­lais pénibles à arpen­ter en vélo Arles sem­blait un point de départ plus engageant,

tout de suite c’est la Camar­gue : ligne droite, hori­zon large et cannes de Provence, route départe­men­tale nerveuse et affairée, je décou­vre les dan­gers poten­tiels du vélo couché —

Vau­vert, Saint-Lau­rent d’Aigouze, Aigues-Mortes, le Grau du Roi,

— les derniers lam­beaux de fraîcheur mati­nale se dis­sipent vite et je tra­verse les deux plus grandes com­munes de France mét­ro­pol­i­taine en forgeant con­scien­cieuse­ment mes pre­miers coups de soleil,

soulage­ment du bain de mer lorsque j’atteins enfin la Méditer­ranée, je reprends mon souf­fle en décou­vrant l’horizon futur­iste que forme le chapelet de sta­tions bal­néaires, mal­heureuse­ment c’est ma route et je pressens déjà la galère qui s’en vient —

la Grande-Motte, Mau­guio (Carnon), Palavas-les-Flots, Vil­leneuve-lès-Maguelone, Mireval, Vic-la-Gar­di­ole, Fron­tig­nan, Balaruc-les-Bains, Balaruc-le-Vieux, Balaruc-les-Bains encore,

— je musarde dans les pre­mières rues qui me rap­pel­lent d’autres villes nou­velles, ces espaces-là me fasci­nent tou­jours et je note dans un coin de ma tête d’y revenir en hiver,

très vite la lune de miel s’estompe et je bataille avec le pénible : labyrinthe des voies et des con­tre-voies, rues semi-pié­tonnes bondées qui appa­rais­sent sans prévenir au détour d’un virage et dans lesquelles je me bloque, smart­phone et GPS plus com­pliqués à manier en roulant que ce que j’imaginais, chape de plomb du bord de mer écrasé par le soleil, route inter­minable jusqu’au camp­ing trop cher dans lequel je finis par arriv­er à 21h30 après m’être per­du dans la zone com­mer­ciale de Balaruc,

heureuse­ment, la fierté des 97 kilo­mètres par­cou­rus en ter­rain hostile —

6 août

Fron­tig­nan encore, Sète,

— j’ai les genoux en com­pote et le démar­rage est douloureux, dans un café à Sète j’hésite mais décide de con­tin­uer doucement,

sur les plages qui s’étirent entre l’étang de Thau et la mer l’ambiance est beau­coup plus apaisée qu’autour des sta­tions bal­néaires de la veille, je prends un déli­cieux bain de mer à la plage des Trois Digues en me deman­dant inévitable­ment si Brassens aimait venir se baign­er ici —

Mar­seil­lan,

— réal­isant soudaine­ment qu’une base de l’école des Glé­nans est à portée de roues, je m’y rends pour le plaisir du détour et décide de remon­ter le canal mal­gré les aver­tisse­ments des guides qui soulig­nent que le pre­mier tronçon est un peu rock n’roll —

Agde, Vias,

— et le mot est faible, un tri­cy­cle couché n’a rien à faire sur une piste de VTT avec son ornière à peine large comme une roue et les herbes folles des deux côtés qui vien­nent grif­fer les bras, mais la piste est amu­sante et le moral est bon, après tout ce n’est pas une course,

surtout, le plaisir d’être au bord du canal débar­rassé des voitures et des hordes, il me vient des images de bay­ou et de rock­ing-chair devant d’antiques maisons en bois —

Por­ti­ragnes,

— il manque un pont et je dois con­tourn­er Port Cas­si­fières, on dirait bien que c’est la base des yachts de loca­tion « le boat » que je n’arrête pas de voir voguer sur le canal,

je m’arrête Au ren­dez-vous des bate­liers pour boire une bière et recharg­er ma bat­terie de sec­ours, c’est vide hormis une famille suisse ent­hou­si­aste et bruyante dont les hommes plaisan­tent avec le fils du patron pen­dant que sa mère, sil­hou­ette soli­taire et digne, scrute les alen­tours avec anx­iété à l’autre bout de la ter­rasse — Anne ma soeur Anne ne vois-tu rien venir,

par jeu, je m’étais promis de retenir le mot de passe du wifi mais c’est raté —

Vil­leneuve-Lès-Béziers, Cers, Vil­leneuve-lès-Béziers encore, Béziers,

— prom­e­nades des familles qui prof­i­tent de la fraîcheur du cré­pus­cule, bancs ani­més sur les bor­ds du canal,

peut-être que que lorsqu’une com­mune passe au front nation­al au lieu de la black­lis­ter on devrait venir y pass­er plus de temps, comme par com­plic­ité avec les habitants ?

je me perds un peu dans les faubourgs de la ville une fois la nuit tombée pour de bon,

dans une rue sans éclairage un molosse déboule d’un por­tail ouvert et décide de me cours­er — masse blanche en mou­ve­ment dans le rétro­viseur, regards au même niveau, grosse mon­tée d’adrénaline mais je pédale plus vite que lui —

Colom­biers,

— à 23h et je décide en un instant de dormir dans un petit chemin de tra­verse attenant au canal au lieu d’aller jusqu’au camp­ing. Lumières qui s’éteignent dans la péniche avoisi­nante, bruits d’animaux, nuit à la belle étoile —

7 août

— à croire qu’on n’apprend jamais, le canal est com­posé d’eau et eau = mous­tiques, j’admets ma défaite à 5h30 et prends le large en silence — pas grave, ce sera une bonne journée de route —

Nis­san-lez-Enserune, Cour­san, Car­bone, Bages, Peyr­i­ac-de-Mer, Sigean,

— cas­cade de pen­sées soli­taires, ligne droite déjà bien fréquen­tée de bon matin la D6009 se prendrait presque pour une Nationale, il faut que je fasse atten­tion à ne pas trop par­ler tout seul quand même —

Por­tel-des-Cor­bières,

souhait exaucé quelques virages plus loin à la faveur d’un méan­dre de la Berre, je me con­grat­ule un peu de savoir lire une carte —

Villesèque-des-Cor­bières, Dur­ban-Cor­bières,

— pédaler tout en haut des côtes du vil­lage pour chercher un café hypothé­tique qui finale­ment n’existe pas et redescen­dre épuisé et en sueur pour se rabat­tre sur un restau­rant sans charme à l’entrée du village,

faire une sieste à l’ombre des pla­tanes des rives de la Berre mais trop de mouch­es pour dormir, la fatigue est comme un acouphène, omniprésente, plus ou moins gênante selon le moment —

Vil­leneuve-les-Cor­bières, Tuchan,

— et la bonne sur­prise d’un camp­ing ombragé et bon marché, j’arrive en fin d’après-midi et me per­met des moules frites le soir entouré de familles en vacances avec l’impression d’arriver au milieu de quelque chose —

Pazi­ols, Padern, Cucug­nan, Maury,

— au matin le vent souf­fle avec force et régu­lar­ité et me fait face, j’avance très lente­ment et il faut toute la per­spec­tive de la val­lée suiv­ante pour venir à bout du col de la D19,

— mais après la plus belle descente des trois derniers jours je tombe sur un camp cli­mat à Mau­ry, où j’avale une belle assi­ette de dal en par­lant géo­gra­phie avec une bénévole —

Saint-Paul de Fenouil­let, Caudiès-de-Fenouil­lèdes, Puilau­rens, Axat,

— je repars plein ouest en suiv­ant la val­lée de la Boulzane et la côte se fait légère mais per­sis­tante et traître, le vent choisit de tourn­er pour con­tin­uer à me faire face,

la per­spec­tive des copains proches est déli­cieuse et rend chaque minute plus longue que celle qui la précède, je passe Puilau­rens en lais­sant flot­ter des envies de château et arrive enfin à Axat où je retrou­ve Maël et son camion dans lequel nous charg­erons le vélo —

Saint-Mar­tin-Lys, Bel­vianes-et-Cavirac, Quil­lan, Ginoles, Coudons, Belvis, Espezel,

— le reste est avalé dans les cahots du moteur à explo­sion, Quil­lan s’affiche à peine et puis ce sont les cols du Por­tel et de Coudons qui ouvrent les portes du Plateau de Sault, alti­tude fraîche des cul­tures entourées de pics et de pechs —

Roque­feuil.

Enfin ce sont les retrou­vailles embras­sades et grands rires, comme il y a du monde ici déjà, même des enfants tiens, où est-ce que je vais met­tre le vélo, et puis la tente, ça pour­rait pleu­voir il vaut mieux que j’évite les rigoles et les creux,

la bière est fraîche,

la douche parfaite,

demain

brille

déjà.

Jérémy Garniaux
Jérémy Garniaux
Développeur pour la science ouverte en archéologie

Cartographe & développeur